Le Cerf et le Cerf-volant

Je n'étais pas très riche, plutôt pauvre en fait. Je vivais constamment dans le désordre, mais ça ne me dérangeais pas. J'étais éboueur, et je détestais ce métier. A vingt ans, je préférais faire autre chose. Chaque matin, je devais me lever à 5h30 pour aller ramasser ces foutues poubelles. Et puis il y avait ceux qui klaxonnaient quand ils ne pouvaient pas avancer, bloqués à cause du camion poubelles de Nice. Un jour, je pensais avoir vu un cerf qui dégageait une sorte de lumière. Mon collègue m'appelait mais je ne l'entendais pas. A ma gauche, le cerf était là, et la lumière était si blanche, si lumineuse, qu'elle me faisait mal au yeux. « Robert, hé ! Tu m'entends ? Allez monte on est en retard ! -Oui, oui. Heu j'ai rêvé ! » Une voiture apparut de l'endroit où j'avais cru voir le cerf. C'était juste une voiture ! Puis la voiture vue sortit de mon esprit. Il était 20h30, le journal du 20h sur France 2 venait de se terminer. J'avais faim, très faim... J’hésitais entre McDo® et Pizza. C'était un choix important ! J'avais mangé à McDo® la veille, l'avant veille et avant encore et encore avant. Et avant encore à Burger King® ! Mon choix fût donc pour une Pizza. Je pris ma veste, mes clés. J'ouvris la porte pour sortit mais avant de faire le premier pas, je vis dans un coin de mon bazar, mon vieux cerf-volant que mes parents m'avaient offert deux ans avant de mourir dans un accident de voiture. Le cerf-volant était rose à pois blanc. A certains endroits, sa toile rigide avait rompu laissant un trou. Je sortis. La rue était humide, un S.D.F. faisait les poubelles. Je vis un rat passer près de lui. Je passai près d'un parc où des jeunes jouaient au Pilou. Je m'assis sur un banc face aux joueurs. Je me souvenais de mon cerf-volant. Après la mort de ces derniers, j'étais tellement seul que j'avais appelé mon cerf-volant « Ika » ! Je me souvenais de mes parents et de leur mort. Leur mort était très mystérieuse, ils auraient été renversés par une voiture, un témoin disait que c'était une voiture blanche aux phares blancs. Mon père était chasseur, un jour il était allé trop près d'une ferme et avait abattu le cerf d'un collègue à lui. J'avais dix ans quand mes parents étaient morts. Les joueurs de Pilou avaient arrêté de jouer, ils étaient face à moi à cinq mètres, ils avançaient lentement... « Euh ! Bonjour ! Je peux faire quelque chose pour vous ? » leur demandais-je. Ils ne me répondirent pas. Ils avançaient encore, ils étaient tout près. Je m'aperçus que l'un d'eux n'avait pas d'yeux. Et qu'un autre en avait mais qu'ils dégageaient une faible lumière rouge. Saisi par l'angoisse, je fis un bond de deux mètres. Et partis prenant les jambes à mon cou. Pendant cinq minutes, l'adrénaline me donnait la force de courir. Je me retournai, personne. Je ralentis, il faisait de plus en plus humide. J'arrivais au camion de pizza qui portait une vielle enseigne en plastique : « Pizza Chez Papa ». Par endroits, le plastique de l'enseigne avait fondu, ou s'était cassé. Il était gras et sale. Je pris une « Royale », je mordis dedans, elle n'était pas très bonne ! Je voulais le signaler au monsieur qui me l'avait vendue. Mais il n'était plus là, le camion de Pizza avait disparu. J'entendis un bruit de voiture derrière moi : le cerf était là. Il dégageait la même lumière blanche, éblouissante, aveuglante. A un de ses bois était attaché... mon cerf-volant.Y avait-il une coïncidence entre « Ika » mon cerf-volant et le cerf ? Je ne le savais pas, et je ne saurai jamais. Il y avait maintenant du vent, le cerf-volant se détacha, il vint vers moi à une vitesse incroyable. Il me frappa à la tête. Je m'écrasai par terre, je tombai dans une flaque. J'étais trempé, mes vieux vêtements achetés avec le salaire minable d'éboueur s'étaient remplis d'eau. J'avais froid, très froid. Mais... Je n'étais pas tombé dans de l'eau... Mais dans une flaque de sang ! Le cerf approchait – je ne pouvais plus bouger- sa lumière me brûlait le cristallin , j'avais l'impression que mon nerf optique était en feu. Je vis derrière lui, le marchand de Pizza, la tête écrasée – sûrement par le cerf –. Du crâne du monsieur Pizza, son cerveau écrasé, broyé, gisait par terre. A côté du feu marchand de Pizza, son camion. Il avait les vitres brisées explosées. La vielle enseigne en plastique était réduite en poussières. Le cerf s'approcha de moi, il me marcha dessus. Et passa son chemin. Il partit. Je me relevai, je n'avais rien ! A part une marque bleue laissée par mon cristallin un peu brûlé. Je n'hésitai pas une seule seconde, je courus aussi vite que je le pouvais. J'étais maintenant à deux kilomètres de ma maison. J'étais sur un chemin peu éclairé. Les quelques lampadaires espacés de dix mètres chacun, dégageaient une petite lumière jaune. Le lampadaire le plus proche, surchauffait un peu, et un petit sifflement électrique sortait de son boîtier. Il semblait chanter. Au loin, la route disparaissait dans le noir. Soudain, l'horreur me saisit à nouveau. Devant moi : le Cerf. Il était là, à trente mètres. Il se mit à courir, il fonçait sur moi. Pendant qu'il se rapprochait, j’aperçus sur son torse, un trou. Comme si on lui avait tiré dessus. Je m'y connaissais en armes ! Mon père était chasseur, et avec mon expérience, j'en déduis que on lui avait tiré dessus avec un « Bergara BA13 », la même arme qu'utilisait mon père ! J'en avais oublié que le cerf me fonçait dessus. Il me percuta, je perdis mon équilibre. Je tombai dans un fossé. J'y restai. J'y suis encore : vous pouvez vérifier. Près du 1458, chemin de l'Ubac, à Nice. Je restais là éternellement, je vivais éternellement, sans rien pouvoir dire, toucher, bouger, entendre, sentir. Je pouvais juste penser. 

Et, sans le savoir, j'avais suivi le même chemin que mes parents, j'étais tombé dans le même fossé. Ils étaient tout près ! Juste à côté. Il m’aurait suffit de tomber la tête légèrement plus à gauche, et je les aurais vus. Eux me voyaient, ils m’appelaient – dans leurs têtes –. Mais ça, je ne le savais pas. 

Fin

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