Dans les Profondeurs du Ballet de Marseille

« Quand j’étais petit, ma mère, Valérie, travaillait au Ballet National de Marseille, il arrivait parfois - lorsqu'on ne pouvait me faire garder - que ma mère m'emmène à son travail. J'étais à chaque fois, très heureux et très impatient d'y aller. Lorsque j'étais gardé le soir après l'école, chez ma nounou, et que nous étions dans le parc de sa résidence qui était tout près du Ballet, je regardais ce bâtiment blanc à l'architecture énigmatique, en pensant à ma maman qui était sûrement dedans.


Quand j'allais avec elle au Ballet je me sentais privilégié, car j'avais un accès supérieur aux simples visiteurs - qui, eux ne pouvaient voir que l'entrée et les salles de spectacles -, j'avais en effet accès au labyrinthe que formaient les multiples couloirs de l'établissement, à ses multiples salles, j'avais accès aux profondeurs du Ballet de Marseille.
Lorsque ma mère m'annonçait : "Demain, tu iras avec moi au Ballet, Marie J. ne pourra pas te garder". J'étais alors pris d'un élan de bonheur, car pour moi, retrouver le monde merveilleux et gigantesque que renfermait le Ballet était une des choses que j'adorais par-dessus tout.
Les jours "J", nous allions en voiture jusqu'à l'entrée du bâtiment, nous disions bonjour à Mohamed, le gardien et roulions lentement jusqu'au parking réservé aux danseurs et aux membres administratifs. C'était toujours moi qui sortais de la voiture, et qui composais le code du parking sur un petit clavier près de l'entrée. J'attendais le petit "bip" caractéristique qui indique que le code est bon. Je laissais alors ma mère entrer dans le parking en voiture et je la suivais à pied. Je longeais alors le parc résidentiel de ma nounou, qui était séparé du parking par une barrière et  je réalisait à quel point j'avais de la chance d'être ici, avec ma maman. Nous sortions du parking, nous passions entre le Ballet et un parc public souvent rempli de fleurs que je cueillais pour sentir leur parfum. Parfois, des portes fermées attiraient mon regard sur la façade du bâtiment, et je me demandais ce qu'il y avait derrière.
Un peu plus loin, nous nous trouvions devant un couloir à ciel ouvert qui aboutissait à l'entrée du bâtiment. Nous traversions ce couloir, et d'autres portes closes attiraient elles aussi mon regard. Puis, brusquement, le couloir s'agrandissait pour laisser place à une "clairière" de béton. Des tables y avaient été aménagées, et des amies de ma mère y discutaient souvent. Nous nous arrêtions pour leur dire bonjour. Puis nous entrions dans une immense salle. À dix mètres devant nous se trouvait l'accueil. À gauche, des portes qui aboutissaient à des couloirs, des escaliers, et à d'autres portes. Il y avait aussi une machine à café, des chaises et des tables installées sur une estrade. À droite , il y avait également des portes qui aboutissaient elles aussi à des couloirs, des escaliers, et à d'autres portes. Il y avait aussi un grand escalier qui aboutissait au niveau inférieur - aux profondeurs du Ballet - et sur le sol, un puits de lumière formé de verre opaque. Nous allions d'abord à la réception saluer la dame de l'accueil qui devait se pencher pour me voir. Ensuite, maman se prenait un café et moi un chocolat chaud. Elle rejoignait ses amis à l'entrée et moi je prenais mon chocolat chaud. En attendant qu'il refroidisse, je me baladais dans l'entrée. J'allais dans les couloirs administratifs, ouvrais des portes au hasard, parfois des secrétaires me disaient "bonjour !". Puis, quand mon chocolat s'était refroidi, je le buvais vite. Une fois qu'elle avait fini de discuter avec ses amis, nous descendions l'escalier principal qui nous emmenait dans les profondeurs du Ballet, nous passions une porte avec un panneau "Privé, réservé aux artistes" pour nous diriger vers les vestiaires. Ils étaient sous le niveau du sol, à chaque fois elle me montrait des photos de moi accrochées dans son casier. Puis j'allais à l'extérieur des vestiaires : dans le couloir. Il y avait, sur les murs, des renforcements ou y avaient été aménagés, des bancs. Un carton contenant des bouchons de bouteilles y était continuellement posé. Je prenais deux bouchons et je m'amusais à les mettre sur mes yeux. Nous allions ensuite soit dans la grande salle de danse, soit dans une des petites.

Je la regardais danser quelque temps puis je me levais, je l'imitais dans un coin pour ne pas la déranger. Ensuite je sortais de la salle et j'allais dans ma salle favorite que j'appelais "La salle de classe". Je passais dans un grand couloir, je montais un grand escalier en colimaçon, montait plusieurs étages, puis arrivais au bout des marches. J'étais alors dans une grande salle, ronde au sol irrégulier. Un mur coupait en deux la pièce, une pente montante descendante tournait autour du mur. Au milieu du mur, un grand tableau velleda. J'imitais alors une maîtresse d'école et je m'inventais des élèves. Après trente minutes "d'école", je faisais les cent pas et me décidais à visiter de fond en comble le Ballet. Je rejoignais ma mère pour lui indiquer mon exploration imminente. Je parcourais alors les multiples couloirs, je me perdais, je stressais un peu puis retrouvais mon chemin. J'allais souvent dans la salle de sport. Une petite salle, rectangulaire avec plein d'objets sportifs, les machines perfectionnées de sport ne m'attiraient pas vraiment, je préférais le trampoline ! Je sautais alors pendant un quart d'heure, puis je retournais à l'accueil, trouvais un autre escalier - à palier cette fois - qui rejoignait "la salle de classe".
Pendant cinq ans j'ai eu la chance de parcourir les innombrables salles et couloirs du Ballet. Mais, un jour nous avons déménagé. Je n'y suis plus jamais retourné depuis. Ça fait huit ans maintenant que je n'ai pas revu mon monde merveilleux. Huit ans que je ne suis pas allé dans les profondeurs du Ballet."

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Aujourd'hui, je remercie ma mère, Valérie de m'avoir fait découvrir cet endroit, de m'y avoir amené des centaines de fois. Je n'oublierais jamais ces moments de ma vie que j'ai vécu grâce à elle. "Merci maman."


À ma mère





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